Loïc Nunez, ergonome à La Presse numérique

Loïc Nunez

Après ses études en psychologie cognitive, en ergonomie des interfaces et en psychologie des organisations, Loïc Nunez a mené pendant plus de onze ans une carrière à titre d’ergonome des interfaces, dans une diversité de milieux, en France comme au Québec. Depuis janvier 2011, il occupe le nouveau poste d’Ergonome au quotidien montréalais La Presse, au sein de La Presse numérique, l’équipe responsable du développement des projets numériques de l’entreprise.

Ceci est la première d’une série d’entrevues que nous souhaitons publier sur ce blogue dans les mois à venir, et qui visent à mettre en valeur des professionnels de qualité, impliqués dans leur milieu, tout en démontrant la diversité des parcours et des spécialités professionnelles du milieu de l’architecture de l’information et de l’expérience utilisateur.

Quel est le mandat de La Presse numérique ?

La Presse numérique est en charge de gérer et développer tous les projets mobiles et web, de La Presse. L’idée est qu’à terme on crée une expérience usager globale, quel que soit le support d’information. À travers différentes plateformes — iPhone, iPad, Android, le web, le papier — il va y avoir, au fur et à mesure, tout un ensemble de produits que les usagers de La Presse vont pouvoir utiliser selon leurs besoins. Tous ces usagers, quand ils utilisent un produit de La Presse, doivent sentir qu’ils sont dans un même univers « La Presse ». Ça touche autant le message communicationnel, le message publicitaire, l’identité graphique, l’architecture de l’information, les interactions, la technologie, la gestion de projet, les besoins d’affaires, l’organisation du travail… Ça touche vraiment tout le monde finalement.

Vous êtes diplômé d’une maîtrise en ergonomie, en France. Quelles sont les particularités de cette formation?

En fait, il y a beaucoup de maîtrises en ergonomie en France (« Master 2 » en version Européenne). Ici, à ma connaissance il y en a qu’une seule, très orientée ingénieur, puisque c’est à Polytechnique. En France, il y a en peut être 20 et 30. Selon les maîtrises, il y a aussi des couleurs différentes. La mienne était concentrée sur l’ergonomie cognitive des interfaces homme-machine, et peu sur l’ergonomie physique par exemple. Les étudiants provenaient essentiellement de Psycho Cognitive mais aussi Sociale. La formation était accès sur les approches théoriques, expérimentales, et la conception centrée utilisateur.

En quelques mots, comment décririez-vous le travail d’un ergonome des interfaces?

Il commence par travailler avec son entreprise pour comprendre ses besoins d’affaires et ce qu’elle sait, ou croit savoir de ses clientèles cibles. Cette investigation se fait idéalement avec des analystes d’affaires et des spécialistes en recherche marketing. Ensuite il aide l’entreprise à croiser ses besoins d’affaires avec les besoins de ses propres clientèles cibles. Ce travail stratégique permet à l’entreprise de se concentrer sur les services rentables à développer, et donc de faire des choix plus efficients en terme de création de contenus et de services. À partir de là il embarque dans les projets au niveau de l’architecture de l’information et du prototypage fonctionnel (« wireframing » pour parler en bon français). J’aime bien le faire en parallèle. Quand on commence à prototyper l’écran, on voit comment on peut organiser l’information. Pour des sites web simples, par exemple, ça se fait bien comme ça. Pour des sites complexes, en général, je fais l’architecture avant. Si le projet le permet, l’ergonome intègre plusieurs outils liés à la recherche utilisateur, comme le classement de carte pour l’architecture d’information, et les tests utilisateurs pour l’exploration, la conception et la validation.

Quel est votre point de vue sur la diversité de titres professionnels: ergonomie des interfaces, architecture de l’information, expérience utilisateur?

C’est vrai que c’est un grand débat qui a explosé ces dernières années. Il existe à la fois des pratiques et des fondamentaux bien différents, mais aussi de simples différences de vocabulaires. L’explication se trouve peut être aux niveaux de la formation initiale, de la variété des livrables exécutés, des méthodes utilisées, et de la culture d’entreprise dans laquelle l’expert évolue. La recherche utilisateur, l’architecture d’information et le prototypage d’interface, sont abordés et réalisés différemment selon sa formation et son expérience. Selon moi, un ergonome devrait maîtriser tous ces livrables, même s’il peut vouloir se spécialiser à un moment ou un autre de sa carrière. Cette question sous entend un floue artistique bien réel autour de ces titres. Et dans une zone d’incertitude le « chaos » n’est pas loin. Nous voyons donc de tout sur le marché, de celui qui utilise une démarche dite « académique » à celui qui fait les choses de façon bien aléatoire. Le malaise est que la profession n’est pas encadrée et cela peut vite se retourner contre elle. Un client non satisfait par la prestation d’un « expert » ne reviendra peut être plus vers la démarche centrée utilisateur. Et en même temps, il n’est pas facile de dire « La » profession au vu de la diversité des outils, méthodes et livrables existants. Quoique la médecine y arrive pas si mal.

Est-ce que l’ergonome est formé pour comprendre la dimension informatique des projets?

Ça dépend des formations en ergonomie. C’est un peu comme la médecine. Il y a une formation de base, puis il y a des spécialités et de la formation continue. Pour moi, toute personne qui veut travailler dans un projet d’interfaces, quel que soit son titre, devrait avoir une majeure dans sa connaissance — que ce soit en design, gestion de projet, architecture d’info — et au moins une mineure pour pouvoir comprendre ses collègues, les risques, les enjeux et les limitations potentielles relatifs aux livrables. Je ne vais jamais me former à faire du HTML, des CSS ou du PHP, mais c’est pratique de savoir regarder le code source d’une page Web ou discuter avec ses collègues développeurs pour identifier les enjeux d’accessibilité par exemple.

Êtes-vous appelé à superviser le travail des développeurs ?

Non, pas du tout. Par contre, si on me demande un livrable, un prototype fonctionnel par exemple, je vais travailler en collaboration avec les Designer pour m’assurer que le côté fonctionnel soit conservé dans les maquettes graphiques finales. Ensuite, même chose avec le développeur. Je sais que le Designer et le développeur travaillent ensemble au pixel près. L’ergonome — ou l’architecte d’information, peu importe son nom — travaille pour sa part avec les développeurs pour s’assurer que le cahier de charge fonctionnel soit respecté.

Vous positionnez-vous comme porte-parole des utilisateurs ?

Oui, exactement. Mais je ne suis pas le seul. La caractéristique de cet expert-là est d’être un des garants de l’expérience utilisateur. Son rôle va être de traduire à l’équipe projet les besoins et attentes des usagers, ainsi que leurs contextes d’usage. Ensuite c’est à l’équipe projet au complet de faire les compromis, qu’ils soient d’affaires, interactifs, technologiques… Pour moi, dès qu’il y a un projet d’interfaces, toutes ces personnes ont une partie de la responsabilité de l’expérience utilisateur finale. Par exemple, une programmation mal optimisée diminue l’efficacité d’une interface, ce qui a un impact direct sur l’expérience utilisateur. L’expérience utilisateur est donc un tout qui doit être portée et prise en compte par tous.

Qu’en est-il de votre rôle au niveau de la gestion des projets?

Je ne gère pas des projets en tant que tel, mais plus des livrables. Les gestionnaires de projet assument bien le rôle de chef d’orchestre parmi tous les experts. Le rôle des chefs de produits est aussi de plus en plus fort et c’est une excellente chose.

Quelle est la place de la recherche utilisateur dans votre travail ?

À La Presse numérique, je travaille étroitement avec mes collègues de l’équipe Recherche marketing qui font beaucoup de recherche quantitatives et qualitatives. Les tests utilisateurs et les focus groups en sont des exemples, mais ce ne sont pas les seuls. J’ai donc beaucoup de chance de pouvoir intervenir autant en amont, la recherche utilisateur, qu’en aval, le développement des projets.

Est-ce que votre rôle est bien compris par tout le monde? Devez-vous évangéliser l’importance d’une approche centrée sur l’expérience utilisateur au sein de votre équipe ?

Personne ne maîtrise le travail des autres, et dans ce sens, il y aura toujours une part de mon travail dédiée à l’explication ou même l’évangélisation. Je constate aussi que le milieu se professionnalise de plus en plus, et qu’aujourd’hui, il est plus question de proposer et d’expliquer que de convaincre. C’est ce qu’il se passe à La Presse. Ça fait 11 ans que je travaille dans le domaine, et c’est le temps que ça a pris pour arriver dans un endroit où je n’ai pas besoin d’évangéliser. L’approche ergonomique est acceptée et n’est pas remise en question. Ce n’est pas vrai partout, mais ça évolue dans le bon sens. Et puis la démarche UX est très pragmatique. C’est en la présentant telle quelle que cela peut faciliter sa mise en place, là ou c’est le plus difficile.

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